La déclaration onusienne concernant les adoptions internationales illégales manque de nuances

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Le 29 septembre 2022, le Comité des Droits de l’Enfant, le Comité des Disparitions forcées, le Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice et de la réparation, la Rapporteuse spéciale sur la vente et l’exploitation sexuelle d’enfants, la Rapporteuse spéciale sur la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants et le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires ont publié une déclaration commune (en anglais uniquement) relative aux adoptions internationales illégales.

Cette déclaration a pour but de « promouvoir une approche fondée sur les droits de la personne et sensible au genre pour prévenir et éradiquer les adoptions internationales illégales en identifiant les droits qui sont violés par des adoptions internationales illégales et en clarifiant les obligations des Etats à cet égard, en vertu du droit international relatif aux droits de l’homme ».

Ce texte est sans aucun doute bienvenu au moment où de nombreux pays d’accueil réfléchissent à la manière de répondre aux conséquences des erreurs du passé. Le droit des victimes à connaître la vérité et à obtenir l’assistance nécessaire à la recherche de leurs origines y est par exemple clairement exprimé. Les instances onusiennes ont cependant inclus dans leur démarche d’autres droits et différents concepts qui, à mon avis, auraient mérité soit un approfondissement lexical, soit un développement de leurs tenants et aboutissants.

D’une manière générale, ce texte présente le risque d’une certaine confusion dans la mesure où il ne fait pas suffisamment de distinctions entre les mauvaises pratiques du passé et les standards de droits humains dont l’application est aujourd’hui nécessaire et reconnue.

Sur la qualification de la thématique tout d’abord : parler d’« adoptions internationales illégales » permet certainement de saisir le sujet de la déclaration, mais l’emploi du mot « illégal » n’est pas approprié. Il y a à mon avis un biais de compréhension entre, d’une part, ce qui, aujourd’hui, est considéré comme une « adoption illégale », et, d’autre part, l’analyse des pratiques qui ont pu affecter des procédures par le passé. Dans une lecture actuelle, il ne fait pas de doute que «les adoptions qui sont le résultat de crimes tels que l’enlèvement, la vente ou la traite d’un enfant, la fraude en matière de déclaration d’adoptabilité, la falsification de documents officiels ou la coercition, ainsi que de toute activité ou pratique illicite telles que l’absence du consentement approprié des parents biologiques, des profits matériels indus au bénéfice d’intermédiaires et la corruption qui y est associée, constituent des adoptions illégales et doivent être interdites, incriminées et réprimées en tant que telles».

Par contre, la qualification juridique des différents types d’actes pouvant avoir affecté une procédure d’adoption internationale qui a eu lieu il y a plusieurs années est plus complexe, parfois même impossible. Une analyse purement juridique implique en effet de prendre en compte à la fois le droit national du pays d’origine de l’enfant et celui du pays d’accueil domicile des candidats à l’adoption, et de la dimension temporelle qui détermine quels textes précisément étaient en vigueur au moment de la commission des faits incriminés. A cela s’ajoutent les règles de droit international privé et de droit pénal régissant les questions de for et de droit applicable, selon des modalités juridiques complexes, elles aussi liées aux dispositions du droit national de chaque Etat concerné. Enfin, il s’agit également de tenir compte des traités internationaux spécifiques pouvant, selon la typologie des actes en cause, trouver application, en tenant compte toutefois de leur applicabilité territoriale et temporelle. En d’autres termes, on ne peut pas parler d’adoption illégale s’il n’y a pas de loi. Il existe bien des cas documentés dénoncés dès les années 80 où des actes clairement illégaux ont été dénoncés, mais le corpus légal qui a longtemps prévalu dans les pays d’origine et dans les pays d’accueil était en général largement insuffisant pour permettre de déterminer aujourd’hui si tel ou tel actes était illégal à telle époque, dans tel pays. L’expérience montre également que des nombreuses irrégularités constatées aujourd’hui relèvent d’omissions, de démarches qui n’ont pas été faites ou de documents absents.

Il ne s’agit pas ici de simples détails juridiques : cette potentielle absence de distinction entre ce qui doit être respecté aujourd’hui et ce qui ne l’a pas été hier biaise la suite des raisonnements en matière de responsabilité et de réparation.

Les instances onusiennes signataires soulignent par exemple que « les États doivent fournir un recours aux victimes d’adoptions internationales illégales en établissant des procédures spécifiques pour l’examen et, le cas échéant, l’annulation de l’adoption, le placement ou la tutelle découlant d’une disparition forcée ou de tout acte illégal, ainsi qu’une action rapide pour rétablir la véritable identité de l’adopté concerné, en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant sans préjudice du droit à la nationalité ». Outre le fait que l’annulation d’une adoption peut entraîner des conséquences qui vont bien au-delà du droit à l’identité et à la nationalité de l’adopté (droits successoraux, obligations d’entretien, etc.), et qu’il ne soit pas fait mention de la famille adoptive qui est tout autant concernée, ce paragraphe est à mon avis pratiquement inapplicable, au vu notamment de la quasi impossibilité de déterminer le caractère illégal d’une adoption prononcée dans un autre pays, à une autre époque, sous un autre droit.

Mais à titre personnel, ce sont les mentions de « génocides » et de « crimes contre l’humanité » qui m’ont le plus heurté. Le paragraphe 4 stipule « Dans certaines conditions prévues par le droit international, les adoptions internationales illégales peuvent constituer des crimes graves tels que le génocide ou des crimes contre l’humanité ». Certes, l’article 2 lit e de la Convention pour la prévention et la répression du crime du génocide de 1948 prévoit (dans cette formulation peu claire) : « le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci‑après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe natio­nal, ethnique, racial ou religieux, comme tel : transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe ». Selon la Charte de Londres, le crime contre l’humanité est défini par « l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu’ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime entrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime».

J’avais déjà exprimé mes doutes lorsque le Comité sur les disparitions forcées s’était saisi de la question des adoptions entre la Suisse et le Sri Lanka, d’une part parce que les conditions d’applicabilité de la Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées me paraissait ici aussi discutables, mais surtout parce que ce glissement d’une reconnaissance nécessaire de mauvaises pratiques passées vers une qualification de crime contre des droits humains est à mon avis extrêmement délicat.

Parler de disparition forcée, de crimes contre l’humanité ou de génocide convoque chez chacun les images des pires moments de l’Histoire de l’humanité. Ces pages sombres ont vu des violations massives des droits humains et ont affecté des millions de personnes. Si, théoriquement, certaines pratiques de l’adoption internationale, dans certains pays d’origine à certaines périodes, peuvent s’approcher des définitions légales précitées, il paraît extrêmement difficile de pouvoir établir que l’adoption internationale ait bien été un instrument utilisé de manière délibérée pour détruire un groupe social spécifique. Mais il s’agit une fois encore de faire la différence entre le passé et le présent : l’adoption internationale a pendant longtemps été perçue comme un moyen de venir en aide à une population d’enfants en détresse, en particulier lorsqu’elle subissait différentes formes de persécutions. Il est dangereux de jeter un doute d’une telle nature sur la base d’une nouvelle lecture de la problématique. Par contre, il est certain que ce même raisonnement doit désormais faire partie de l’analyse des situations actuelles, par exemple lorsque l’on observe les pratiques de déplacements de populations d’enfants entre l’Ukraine et la Russie.

Le fait de créer un lien sémantique entre l’adoption internationale et les actes de génocide et de crimes contre l’humanité risque de donner un faux message ; l’exception n’est pas la règle. Ces mots sont tellement puissants que ce sont ceux qui seront probablement retenus par le public. Cette déclaration peut ainsi avoir des implications traumatisantes sur la communauté des adoptés et de leurs familles. Est-il utile de rappeler la complexité de l’histoire de l’adoption internationale et l’extrême diversité des situations individuelles ? De rappeler qu’une très grande partie des adoptions internationales a évolué de manière positive pour les personnes concernées, qui ne cherchent pas toutes à connaître les conditions dans lesquelles elles ont été adoptées ?

Avec tout le respect dû aux membres des instances onusiennes signataires, il me paraît essentiel d’aborder ces questions de manière plus nuancées, plus documentées, en tenant compte d’une communauté dans son ensemble.

Photo : Nana Smirnova unsplash.com